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« La communication responsable n’est pas une opportunité, c’est une nécessité »

Quelles stratégies les marques déploient-elles dans la période actuelle ? Comment réagissent-elles face à la crise ? Quelles tendances en sortent renforcées ? Pour dresser de premiers constats, nous avons souhaité interroger Jean-Luc CHETRIT, Directeur Général de L’UNION DES MARQUES, en lien permanent avec les directions Marketing et Communication, et aux premières loges des tendances actuelles. Sa conviction : la crise vient renforcer et accélérer des tendances pré-existantes.

 

MAESTRIUM : La crise a placé sur le devant de la scène la raison d’être des entreprises. Cela se retrouve-t-il dans l’expression des marques ? 

Jean-Luc CHETRIT, Directeur Général de l’UNION DES MARQUES : Le constat est juste. Il est corroboré par notre baromètre des marques en temps de crise, qui s’appuie sur les réponses d’une cinquantaine de dirigeants d’entreprises et dont les résultats font  apparaître une conclusion phare : si le questionnement autour de la raison d’être avait déjà démarré avant la crise, il s’est largement accéléré depuis le confinement. 48 % des marques déclarent ainsi que la crise a engendré ou va engendrer une réflexion sur le sujet. Ce que nous observons aussi de façon très claire, c’est le changement de registre dans la communication. Depuis quelques mois, les marques prennent la parole de manière significative sur leur utilité au quotidien, la proximité, la sécurité, leur engagement sociétal, la production locale. Tout cela prouve que la raison d’être irrigue désormais le territoire d’expression des marques.

MAESTRIUM : La notion de lien a été largement évoquée durant les mois passés : lien social, lien avec les clients, les fournisseurs, etc. Voyez-vous ce concept comme un nouvel angle incontournable des stratégies de marque ?

Jean-Luc CHETRIT : Cette notion de lien, je la traduis plutôt par l’expérience client, véritable cœur du réacteur des marques. C’est une tendance de fond, qui existait bien avant la crise sanitaire. Si l’on regarde la relation digitale entre une marque et son public, il y a bien sûr du partage d’informations, mais aussi de la remontée d’informations et potentiellement un acte d’achat. Cette somme des interactions, fluides et intégrées, constitue l’expérience client. Si l’exigence des clients s’est certainement renforcée depuis la crise, il n’en demeure pas moins que cette nécessité de mettre le consommateur au centre et de lui offrir une expérience était déjà incontournable dans la construction des stratégies de marque. Et, pour faire le lien avec votre précédente question, le livre blanc que nous avons sorti dès la fin 2019, Sens et expérience : les piliers des marques fortes, distinguait déjà la raison d’être (la réponse au « pourquoi ») et l’expérience client (la réponse au « comment ») comme deux fondamentaux stratégiques.

MAESTRIUM : Comment concilier, aujourd’hui, l’impératif d’expression de marque, et la nécessité d’être visible, avec les coupes budgétaires qui s’annoncent pour le marketing et la communication ?

Jean-Luc CHETRIT : Autrement dit : comment répondre, avec moins d’argent, au besoin croissant de communiquer ? C’est un challenge que les marques connaissent assez bien. Cela fait écho au « more for less », maître-mot adopté par les marques de longue date pour atteindre l’efficience. Elles sont donc de plus en plus dans la mesure de l’efficacité, à la recherche d’actions à fort ROI, et elles réduisent tout ce qui n’est pas indispensable. Par ailleurs, il est évident qu’il y a un écart considérable selon les secteurs : certaines entreprises ont vécu la crise avec un business peu affecté, voire en croissance, quand d’autres l’affrontent de plein fouet. Mais dans tous les cas, aucune ne fera l’économie de ce challenge, et cette tendance de fond va perdurer.

MAESTRIUM : L’UNION DES MARQUES travaille depuis longtemps sur la communication et le marketing responsables. Est-ce enfin l’occasion pour cette approche de prendre le lead ?

 Jean-Luc CHETRIT : Davantage qu’une opportunité, il s’agit en fait d’une nécessité. Pendant longtemps, la RSE a été cantonnée à un passage obligé dans les rapports d’activité, elle se situait très en amont, dans les process de fabrication, de production, de mesure de l’impact carbone. Elle n’était pas vue comme un levier pour renforcer la confiance des clients. Or, la bascule de perception a lieu : on observe aujourd’hui que les entreprises incapables de répondre à l’attente de citoyens de plus en plus engagés sont sanctionnées économiquement. A l’inverse, celles qui apportent ces réponses récoltent une croissance supérieure. Si l’on élargit le spectre et que l’on sort de l’approche uniquement environnementale, sur laquelle on se focalise beaucoup, et qu’on regarde aussi les sujets sociétaux qui font pleinement partie de la RSE, les résultats sont comparables. Aux Etats-Unis, des études ont montré que les publicités exemptes de stéréotypes étaient 25% plus efficaces. Autre exemple, au sein d’AXA : depuis sa décision de favoriser la diversité au sein des comités de direction, les performances de ses managers sont supérieures. Ces sujets d’égalité ne sont pas seulement bénéfiques pour la société, ils sont également source de performance économique. Les deux ne sont pas en contradiction, ils sont intimement liés et cela se voit de plus en plus.

MAESTRIUM : Selon une dernière étude, de plus en plus de consommateurs sont en quête d’une “pause”. Comment continuer à susciter du désir, de l’adhésion, face à un public de plus en plus en retrait ?

 Jean-Luc CHETRIT : Plutôt qu’une pause, qui me semble bien trop large et sujet à trop d’interprétations, je soulignerais une prise de conscience de chacun de l’impact de ses décisions, de son comportement, sur son environnement. A mon sens, c’est cela qui fait véritablement socle aujourd’hui au sein de la population. Il y a donc une volonté d’être tout à la fois capable d’apprécier ce que l’on fait, ce que l’on consomme, tout en souhaitant limiter son impact. Et cette recherche du mieux consommer est plutôt une bonne nouvelle ! De fait, nous avons absolument besoin de continuer à générer de la richesse, et nous avons impérativement besoin de le faire sans impacter notre environnement. Comment les entreprises font face à cet impératif de croissance décarbonée ? En accompagnant, en encourageant, en étant des leviers de la transition. Or, la communication est déjà en action sur ces sujets. Regardez les publicités des constructeurs automobiles : elles encouragent massivement l’achat de véhicules plus propres. Parallèlement, et c’est bien sûr le préalable nécessaire, l’industrie automobile fait évoluer les véhicules. C’est la combinaison de ces deux leviers qui fait la contribution positive.

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